Coup de (rétro)projecteur sur la dynamique

de relocalisation en Wallonie

En septembre 2020, la Wallonie lançait un appel à projets pour soutenir la relocalisation du système alimentaire en Wallonie. Considérés comme de véritables « laboratoires » pour développer l’alimentation durable, ces 46 projets se sont développés dans une dynamique de reterritorialisation de notre alimentation afin d’accélérer la transition du système alimentaire wallon.

A l’approche du terme du subside relocalisation, 19 [1] des 46 projets ont été identifiés comme nécessaires à soutenir par les pouvoirs publics pour pérenniser les actions en cours de transition alimentaire et ont été reconduits jusqu’en juin 25. D’autres ont obtenu un financement au développement d’infrastructure de relocalisation alimentaire via le nouvel appel à projets relocalisation « infrastructures » tandis que certains sont devenus autoportants.

Sur base de récits collectés auprès des acteurs concernés, nous vous proposons ici un retour (non exhaustif) sur cette dynamique de relocalisation jalonnée d’initiatives, de collaborations, de réussites, … et de déceptions mais toujours nourris d’expériences stimulantes et inspirantes. 

[1] Parmi ces 19 projets non cités dans cet article, nous retrouvons notamment la Ceinture alimentaire de Tournai et son projet de création d’une filière légumes bios en Tournaisis, l’Interprofession Fruits et Légumes de Wallonie (IFEL-W), La centrale d’achat locale (CAL) de l’asbl Solidairement et le projet ¼ de la Wallonie en Circuit-court (Li terroir -réseau Paysan), Les jardins d’à côté (Jadac), la structure provinciale de distribution et promotion des producteurs et artisans du brabant wallon MADE IN BW, la Conserverie inclusive au sein du SAJA de l’asbl Emeraude de Baulers, le projet Food C (Igretec), le “Comptoir paysan” (Calestienne) ainsi que les 10 projets pilotes de Conseils de politique alimentaire (CPA) locaux.

Des cultures adaptées aux changements climatiques

Le projet Sunwal

Porté par le Centre wallon de Recherches agronomiques (CRA-W), le projet Sunwal travaille au développement d’une production locale d’huile de tournesol. L’expérience n’a pas été de tout repos au terme de trois années extrêmement contrastées d’un point de vue climatique avec la seule année 2022 favorable à la culture du tournesol.

Trois années marquées également par de grosses fluctuations des prix de vente du tournesol rarement observées jusqu’à présent. Malgré tous ces obstacles, les premiers champs de tournesol sont apparus dans nos campagnes, ainsi que les premières bouteilles d’huile de tournesol locale dans les points de vente circuit court. Le projet a pu créer une filière de production d’huile de tournesol locale, qui a très bien fonctionné en 2022, avec une récolte d’un grain de qualité et un prix de vente attractif pour les agriculteurs. Malheureusement, cette filière est actuellement en pause en attendant la disponibilité de variétés plus précoces et des outils de luttes contre les nuisibles.

Cette filière aura très certainement un bel avenir en Belgique à l’image de cette année 22 au cours de laquelle pas moins de 8000 litres d’huile de tournesol ont été produits.

Les protéines végétales

Pour ce projet, il nous faudra davantage de recul sur les tests pour observer le fruit des travaux menés. Au terme du projet, la Fédération Wallonne de l’Agriculture (FWA) se dit toutefois fière de son état des lieux de l’offre wallonne actuelle en protéines végétales et des essais agronomiques réalisés (l’ensemble étant accessible en ligne). Ici aussi, le projet a dû faire face à de nombreuses difficultés, La guerre russo-ukrainienne notamment qui a provoqué d’importantes fluctuations économiques et le quasi doublement du prix à la tonne des céréales dissuadant les agriculteurs d’intégrer des protéines végétales dans leur plan de culture. Certaines cultures de protéines végétales sont déjà valorisables aujourd’hui en agriculture biologique comme les pois chiches, les lentilles et l’huile de cameline. Ces filières pourraient aussi se développer en agriculture raisonnée grâce à l’adaptation de nos habitudes alimentaires. Cependant, pour atteindre cet objectif, des lots homogènes et de volumes plus importants seront nécessaires. Pour valoriser ces productions plutôt que les produits importés, pour la FWA, il est essentiel de lever les freins agronomiques de ces cultures. La recherche pour le développement de cette filière continue néanmoins puisque la thématique du projet est désormais reprise par l’intermédiaire du projet Protewin (Wagralim).

Des projets à dimension sociale

Les Maisons de l’Alimentation Durable

La Maison de l’Alimentation durable et inclusive de Liège (MAdiL) portée par la Ville de Liège a développé un large éventail d’activités allant de programmes de sensibilisation dans les écoles à l’organisation d’ateliers culinaires tant pour le grand public que pour un public fragilisé. A travers ses missions, la MAdiL a travaillé à la recréation de liens directs entre mangeurs et producteurs. Cette expérience a abouti notamment à la rédaction d’une charte définissant une vision commune de l’alimentation durable et inclusive. Cette charte sert d’outil de cohésion pour les partenaires de la Madil, d’auto-évaluation pour les activités existantes et de guide pour la création de nouvelles activités.

Toutes deux lauréates de l’appel à projets « Soutenir la relocalisation de l’alimentation en Wallonie », la Madil et la Maison de l’alimentation durable de Charleroi (MAD Carolo) ont naturellement établi des échanges réguliers pour partager leurs expériences, défis et bonnes pratiques. En mars 2023, elles ont collaboré sur la rédaction d’un mémorandum en vue des élections régionales permettant ainsi d’identifier les enjeux communs et les spécificités de chaque MAD. Elles ont été rejointes par une troisième MAD, la maison de l’alimentation durable de Namur, soutenue dans le cadre du prolongement de cet appel à projet jusque juin 25.

Des espaces créateurs de liens autour de l'alimentation durable

Les Conseils de Politique Alimentaire (CPA) sont des structures de gouvernance collaborative rassemblant des acteurs d’un même territoire gravitant autour des différentes dimensions de l’alimentation. Un CPA local peut être défini comme un incubateur d’idées favorisant la cohérence et la collaboration entre projets liés à l’alimentation et pro-actif dans la co-construction de politiques alimentaires en représentant l’intérêt général.

La Ceinture Aliment-Terre Liégeoise (CATL), la conférence des bourgmestres du territoire de Liège Métropole et l’Université de Liège sont à l’initiative de la création du CPA local sur le territoire de Liège Métropole. Véritable mix entre plaidoyer et travail concret, le travail de ce CPA lancé en décembre 2022 et fort de ses 120 membres issus des différents secteurs a porté sur 6 thématiques considérées comme prioritaires. On relèvera parmi les nombreuses avancées du CPA, le recensement de projets innovants en termes d’alimentation durable au sein des organisations d’aide alimentaires et CPAS, une enquête sur les habitudes de consommation de milliers de liégeois·es, la contribution à l’adaptation des formations en boulangerie aux enjeux de durabilité, la mise en avant des aides et difficultés liées à la question de la main d’œuvre agricole, l’échange de bonnes pratiques entre cuisines de collectivités, la réalisation d’une carte reprenant les terres publiques agricoles sur l’Arrondissement de Liège, le recensement d’outils permettant d’orienter la commande publique vers des produits alimentaires durables, etc.

Depuis lors, de nouvelles thématiques d’action ont été identifiées et en vue des élections, ces préoccupations et propositions ont fait l’objet d’un mémorandum porté par les acteurs·rices de la transition alimentaire du territoire.

La pépite du « Réseau Aliment-Terre de l’arrondissement de Verviers » (Ratav) est sans conteste le Festival Nourrir autrement consacré aux initiatives alimentaires locales qui se déroule chaque année vers la fin mai. 

Cet événement médiatique plus populaire que jamais est désormais co-organisé par 70 partenaires et diffusé dans les 20 communes de l’entité verviétoise. 

Le Ratav c’est aussi un conseil de politique alimentaire local qui a trouvé sa légitimé aux yeux des acteurs de son territoire (élus, entreprises, associations, citoyens). 

Parmi ses réalisations relevons par exemple l’édition d’un répertoire papier et téléchargeable des initiatives alimentaires locales dont 4.000 exemplaires ont été distribués et la création d’un outil logistique « terre d’herbage » qui facilite la livraison de produits locaux aux franchisés.

Le Parc naturel Cœur de Condroz a mis en place son CPA local en 2021 afin d’accélérer la transition amorcée sur le territoire.  Fort de ses 18 membres retenus pour y siéger, le CPA est en activité depuis 2022. Il propose notamment aux 6 communes de l’entité de participer à une série d’ateliers sur des thématiques précises. On relèvera, sur base d’un diagnostic territorial établi dans le cadre du lancement du CPA, l’impulsion des projets concrets tel qu’un collectif maraîcher pour fournir les professionnels du territoire (cantines, épiceries, HoReCa). Ce projet sera soutenu pendant 3 ans par la Région Wallonne pour structurer la filière maraîchère en Cœur de Condroz afin d’assurer l’approvisionnement local en fruits et légumes des opérateurs B2B. Un autre projet-phare du CPA Cœur de Condroz est ici aussi l’organisation du festival Nourrir Cœur de Condroz dont la 4e édition aura lieu du 23 au 25 mai 2025 !

Le Conseil de politique alimentaire du Cœur du Hainaut porté Hainaut Développement  (HD) s’appuie sur l’expérience, les livrables et les valeurs immatérielles accumulées au cours des trois années disponibles sur le site de Cœur du Hainaut. 

Le CPA local poursuit ses travaux en catalysant les énergies d’une cinquantaine d’acteurs impliqués dans 5 groupes de travail thématiques telles que la sensibilisation des (jeunes) mangeurs, l’accessibilité, le lien avec les pouvoirs publics, la restauration collective et les plantes sauvages comestibles.

La pépite du CPA est très certainement ici aussi la création et l’organisation de deux éditions (et une 3ème en préparation) du Festival “Nourrir le Cœur du Hainaut” proposant plus de 70 activités dont certaines inédites.

Consommer local et durable, des terres publiques aux collectivités

Le projet “Réseau agricole local structuré pour nourrir Namur” porté conjointement par la Ville de Namur, le CPAS de Namur et la Ceinture Alimentaire Namuroise et la Ceinture Alimentaire Namuroise (CAN) a permis de relocaliser les assiettes des collectivités publiques, de prétendre à la labellisation “ Cantine Durables” des 5 maisons de repos du CPAS et des 21 cantines scolaires de la Ville, au niveau 2 (symbolisé par 2 radis). Ces réalisations ont été rendues possibles grâce à la mise en service de la nouvelle Cuisine centrale du CPAS (dimensionnée pour produire 2500 repas) ainsi qu’à la mise en place d’une cuisine de réchauffe et d’un système de livraison en liaison chaude pour permettre la fourniture des repas scolaires. Parmi les nombreuses réussites du projet, nous soulignons ici l’attribution des terres de dix hectares de terres agricoles acquis en 2023 par la Ville Bouge à un collectif de jeunes producteurs motivés à y faire émerger un projet de ferme urbaine ancrée territorialement et très diversifiée (maraîchage, tisanerie, fromagerie, verger…) en privilégiant les débouchés locaux (près de 100% des productions seront écoulées sur le territoire namurois).

Au niveau des acteurs de la logistique et des espaces de ventes

Fédérer, soutenir et défendre les coopératives

Depuis son lancement en 2017, le Collectif 5C a diversifié et augmenté le nombre d’actions de communication pour fédérer ses membres au nombre d’une quarantaine en Wallonie et à Bruxelles. Le Collectif 5C, c’est annuellement deux grands évènements (5C et Petite foire), huit campagnes grand public, un site internet et de nombreuses publications sur les différents canaux du Collectif. Ces chiffres démontrent la (re)connaissance du collectif par ses partenaires dont le nombre de membres croit chaque année. Le Collectif 5C dispose désormais d’une connaissance fine de ses membres capitalisée autours d’indicateurs rassemblés dans un observatoire lancé fin 2023 pour collecter des données chiffrées sur les membres. En juin 2024 un second observatoire a été lancé directement connecté à la rédaction et à la validation du manifeste et de la charte 5C visant à engager les membres vers une analyse puis une amélioration de leurs pratiques d’approvisionnement.

Les perspectives du collectif ? Définir concrètement le changement d’échelle du circuit court par province avec ses membres et mettre en place un plan d’action par province en synergie avec les ceintures alimentaires. Il s’agit aussi d’ouvrir le membership à d’autres acteurs économiques du circuit court !

Un super marché de producteurs

Depuis janvier 2023, suite à la réorientation de son activité économique du B2B vers le B2C, la Ceinture Alimentaire Charleroi Métropole en soutien à la coopérative Circulacoop a lancé un super marché de producteurs à Marcinelle, le « Carolo Store ». 

Le projet est de taille puisqu’il s’agit d’un espace commercial de 600m2 comprenant un atelier traiteur, une boulangerie-pâtisserie, une boucherie, un espace fruits et légumes, vrac etc. Le projet s’appuie sur une équipe de 4,5 équivalents temps plein et a réussi le pari de mobiliser 556 coopérateurs dont 53 producteurs/artisans. 

Si le projet demeure encore économiquement fragile avec sa moyenne de 843 clients par semaine, la localisation idéale du projet à l’entrée de la Ville dans un secteur de grand passage est prometteuse. 

Le Carolostore via la circulacoop est clairement un nouvel atout pour la distribution de produits issus des filières locales pour la Ville de Charleroi et se veut être en capacité de devenir un acteur B to B pour les restaurants, petits magasins et collectivités du territoire en collaboration étroite avec les autres coopératives.

Susciter des vocations pour de nouveaux métiers

Le projet Locaterre, vers un système complet de relocalisation alimentaire en Basse-Meuse a été porté par l’ASBL Basse-Meuse Développement. Sa pépite est le Salon Objectif Terre, lieu unique où se rencontrent tous les acteurs de l’alimentation durable — producteurs, institutions, écoles primaires et secondaires. Le salon organisé à Blegny va bientôt vivre sa 3e édition après avoir attiré plus de 700 visiteurs intéressés par une réorientation dans le secteur de l’alimentation durable.

Les perspectives envisagées pour la suite du projet sont multiples. On citera le projet « Agriculture sociale, une réduction des inégalités » retenu dans le cadre du nouveau GAL Basse-Meuse qui apportera un soutien en main-d’œuvre aux agriculteurs locaux tout en favorisant la réinsertion professionnelle de publics vulnérables et un projet de coopérative de transformation et de valorisation de produits agricoles et maraichers locaux sur Oupeye.

Des outils pour faciliter tout ça …

Le projet « C’Durable », porté par Saveurs Paysannes a donné naissance à la création d’un outil de diagnostics sous forme de scores de durabilité auprès des éleveurs. Il permet d’évaluer les pratiques agricoles et leur impact sur la biodiversité, le climat et le bien-être animal.  Près de 60 fermes se sont prêtées au jeu jusqu’à présent dont au moins la moitié affiche publiquement leur score sur les produits et dans les espace de ventes. Les perspectives du projet visent à étendre les diagnostics de durabilité aux élevages ovins dès l’automne 2024, et ensuite aux volailles et élevages porcins courant 2025. Avec du recul, chez C’durable on est fier d’être parvenus à créer, tester et améliorer un outil évaluatif de qualité. Ceci va de pair avec des outils et une communication efficace via l’amélioration continue du site internet et, des produits de communication qui l’accompagnent (score, étiquetage, panneaux, etc.).

Digicirco est le fruit d’une collaboration entre Aktina ASBL, Oxfam-Mdm, ULB qui gèrent chacune l’une des 3 plateformes en soutien des acteurs circuits courts. OpenBatra, la base de données open source à destination des circuits-courts , Open Food Network, la plateforme de vente en ligne et l’outil de gestion logistique collaborative LogCica. Si le projet a dû faire face à la faible disponibilité de certains producteur·trice·s compte tenu de la complexité des outils, les membres du projet Digicirco n’ont pas ménagé leurs efforts au service d’une plus grande transparence pour la santé des consommateur·trices et la mise en conformité en matière d’étiquetage des denrées alimentaires (règlement INCO). Relevons ici différentes collaborations pour la consolidation de l’information circuits courts en Province de Luxembourg avec les épiceries participatives du Cellier du Baudet (Bertrix) et Cœur de Village (Tintigny), et pour la digitalisation de l’offre de producteurs locaux avec Alim’ath, le CPA Wallonie Picarde.

Faciliter l’approvisionnement en produits locaux

Le projet des broutards construit en partenariat avec l’Agence de Développement local et soutenu par les autorités communales d’Awans a commencé en juin 2022 dans le but de protéger les prairies de pâturage en voie de disparition et de contribuer à les rentabiliser grâce à la vente directe à la ferme de viande bovine issue des élevages locaux. A la base du projet, un comité citoyen s’est associé avec 5 éleveurs locaux facilitant la vente, l’organisation des distributions de colis et la rétrocession du paiement aux éleveurs (sans marge). Deux ans plus tard, ce comité constitué en ASBL est récompensé par le prix des Acteurs de la Transition écologique et alimentaire de la Province de Liège (2024) . Une belle réussite et des enseignements pour ce projet aux ambitions environnementales élevées mais confronté à la réalité économique des éleveurs jugeant l’élevage à l’herbe peu efficace et rentable. Un rapport final destiné aux collectifs et associations voulant monter un projet similaire dresse les étapes du projet, analyse les succès, les échecs, le contexte et les raisons de l’évolution qu’a connu le projet.

Avancées inspirantes et ressources à partager

Ce tour d’horizon des avancées menées au sein nos « laboratoires de la relocalisation » de l’alimentation nous aura permis d’entrevoir de nombreuses actions et coopérations menées aux quatre coins de la Wallonie au service de la transition de notre système alimentaire.  Soutenus par les autorités publiques, ces projets exploratoires se donnent aujourd’hui à voir sous de nombreuses formes et constituent un ensemble d’avancées inspirantes et de ressources à partager : méthodes et guides au service de la gestion d’une politique foncière auprès des acteurs publics du projet « terres publiques » (Terre-en-vue, Credal), émergence d’une filière haute-tige (atelier Constant Berger) et label Verger Vivant (projet Wal4fruits, FPNW, CRA-W), création de la coopérative de producteurs Bel’grains pour le développement de la filière de céréales biologiques wallonnes (FWA), recherche visant à diminuer le gaspillage alimentaire aboutissant à la production  d’un guide pratique de valorisation invendus bio en wallonie (Biowallonie, Diversiferm).

L’histoire de la transition de notre système alimentaire continue à s’écrire …

Manger Demain