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L’alimentation à un prix : est-ce réellement celui que le consommateur paye au magasin ou à la cantine ? Selon le rapport annuel de la FAO intitulé « Révéler les coûts réels de l’alimentation pour transformer les systèmes alimentaires » paru le 6 novembre 2023, la réponse est bien sûr non. En effet, les externalités qui découlent de notre système agro-alimentaire sont encore trop peu considérées pour mener des politiques alimentaires efficaces et régénératrices.
Depuis de nombreuses années, la transition du système alimentaire est devenue un enjeu international ! On en parle aux nations unies, à l’union européenne et même en Belgique où différentes politiques sont initiées et soutenues au niveau local et régional. L’ambition de transformer le système alimentaire actuel en un système robuste, résilient, inclusif et durable existe et devient une priorité à l’échelle des collectivités et des territoires. Mais comment agir concrètement pour multiplier et accélérer les innovations sociales de ce mouvement ?
Pour permettre aux citoyens et élus de se positionner sur des choix et priorités à mettre en œuvre, la FAO souhaite informer / sensibiliser aux coûts cachés et leurs impacts environnementaux, sociaux et économique. Elle démontre, via son étude (portant sur 154 pays) l’importance de prendre en compte dans nos politiques à venir le coût complet de notre alimentation. Via ce rapport, la FAO invite les pouvoirs publics et le secteur privé à réaliser dorénavant des analyses détaillées des coûts cachés.
L’urgence, par définition, cela signifie que sans mesures/actions pour un changement RAPIDE, la situation telle qu’on la connait va entraîner des préjudices irréparables.
Ces préjudices, nous les connaissons toutes et tous tant on en entend parler régulièrement : aliments insuffisamment disponibles, accessibles et abordables, réchauffement climatique, perte de biodiversité, ralentissement et fléchissement de nos économies, précarisation, aggravation de la pauvreté et autres crises concomitantes[1].
Il faut donc agir dès aujourd’hui pour enrayer ces défis mondiaux qui vont croissants. Pour ce faire, il est nécessaire de comprendre les impacts réels, positif et négatifs, de nos systèmes agroalimentaires mondiaux.
[1] https://www.fao.org/newsroom/detail/hidden-costs-of-global-agrifood-systems-worth-at-least–10-trillion/fr
Les coûts cachés ce sont tout simplement les externalités qui découlent de nos modes de production et de consommation : Utilisation des ressources naturelles (utilisation des eaux, des terres), impacts environnementaux (émissions d’azote et de gaz à effet de serre, perte de biodiversité…), relation avec la santé et le bien-être (pauvreté, sous-alimentation, malnutrition).
Le coût environnemental constitue plus de 20% des coûts cachés quantifiés (principalement lié aux émissions d’azote et de gaz à effet de serre (GES)
Les coûts cachés liés aux maladies non transmissibles qui découlent de nos modes d’alimentation sont les coûts les plus élevés (plus de 50% des coûts)
Calculer le coût réel des aliments, c’est une opération très ambitieuse : Cela nécessite énormément de connaissance, de ressources et de données. Selon la FAO, cela se chiffrerait à plus de 12.000 milliards de dollars soit plus de 10% du PIB mondial. Toutefois, les chiffres avancés et les méthodes de calcul ont leurs propres limites : ils ne tiennent pas compte d’externalités non-quantifiables monétairement comme la pauvreté et la sous-alimentation.
Alors, à votre avis, à quoi pourrait ressembler l’étiquette d’un produit qui tient compte de ces coûts cachés ? Selon Humundi via sa campagne « le vrai prix de l’alimentation », il faudrait tripler l’addition ! 1 euro payé par le consommateur équivaudrait à 2 euros de coûts cachés. Un constat partagé par la Chaire Unesco qui démontre à travers ses études que pour 100€ de nourriture achetée, la société devra payer entre 100 et 200€ en termes de dégradation de la santé et de l’environnement.
C’est donc bien tout le système dans son ensemble qu’il faut revoir pour accessibiliser l’alimentation durable tout en investissant dans un modèle de production et de consommation vertueux. Pour ce faire, il est nécessaire de travailler à réduire les inégalités d’impacts et sociales qui résultent de nos systèmes.
Comme le démontre la FAO dans son rapport, l’impact des coûts cachés affectent considérablement les pays à faible revenu (28% du PIB, contre 11% pour les pays à revenu intermédiaire et seulement 8% pour les pays à revenu élevé).
Selon une étude de Sciensano, la précarité accentuerait un comportement de malbouffe / consommation de produits ultra-transformés lié à la situation de cette partie de la population et non l’envie. En effet, plusieurs projets montrent que les bénéficiaires de l’aide sociale, notamment alimentaire, sont très preneurs de produits locaux et de qualité. Toutefois ça ne leur est pas toujours accessible.
Nous avons connu à partir de 1950 une ère d’abondance. Celle-ci a eu pour effet de banaliser progressivement l’alimentation : conséquence d’une diminution de la valeur monétaire de l’alimentation et du budget alloué aux repas, mais d’une perte de valeur sociale de l’acte de manger. C’est ce que Nicolas Bricas appelle le contrat social encore en cours depuis la fin de la guerre, celui d’une alimentation accessible au moindre coût pour le consommateur, mais au coût croissant pour le citoyen, ici et ailleurs.
Il est urgent de lutter contre la déshumanisation de la chaine alimentaire et contre la perte d’identité des aliments. Soyons au contraire fiers de notre terroir, de nos produits et de nos producteurs. Ventons le savoir-faire de nos artisans et transformateurs. Régalons-nous grâce au travail de nos cuisiniers et cuisinières. L’alimentation est un bien commun exceptionnel de tous les jours, créateur de lien et générateur d’emplois.
Une plus grande autonomie alimentaire à l’échelle des territoires fait donc partie de la réponse aux problèmes écologiques notamment posés par les coûts cachés. Cette question posée notamment avec la pandémie de covid-19 avait démontré que plus d’autonomie signifie moins d’importation et des relocalisations créatrices de valeur ajoutée territoriale.
Repenser notre gouvernance pour des politiques alimentaires par et pour les citoyen.ne.s
Le rapport de la FAO le met en lumière : comment nos gouvernements peuvent-il prendre des décisions en faveur de la durabilité du système alimentaire sans avoir connaissance de toutes ces externalités et de l’ensemble des acteurs et éléments qui gravitent dans ce système ?
Sorti en 2019, le référentiel wallon de l’alimentation durable soulignait l’importance de mettre en œuvre des mécanismes de gouvernance responsables et efficace qui permettent une maitrise de l’ensemble des enjeux stratégiques pour un système alimentaire durable (accessibilité, bien-être, environnement, prospérité socio-économique et connaissance / compétences).
C’est en ce sens que la Wallonie a soutenu depuis lors l’émergence de conseils de politique alimentaire : des structures participatives ancrées sur le territoire et interconnectées. Grâce à une approche ascendante, l’information doit pouvoir remonter à nos élus afin qu’ils mettent en œuvre les mesures
Un levier prioritaire pour changer de paradigme : l’impact des cantines durables pour construire des modèles d’avenir !
Comme l’indique Benoit DE WAEGENEER, Secrétaire général chez Humundi (Ex SOS FAIM), dans son interview sur matin première, la dynamique des cantines qui garantissent l’accessibilité des repas tout en privilégiant des produits locaux et durables (rémunérateurs pour les acteurs de l’approvisionnement) est une piste de solution pour repenser notre système alimentaire !
Comme vous le savez peut-être, l’une des missions confiée à la Cellule Manger Demain est l’opérationnalisation du Green Deal Cantines Durables : un processus qui appuie les acteur.rice.s autour de la restauration collective à mener une transition pour des assiettes plus durables. Si nous devions choisir un mot pour résumer notre action, nous choisirions le mot « débouchés » car c’est la ligne de conduite que nous visons. C’est en boostant la demande que nous pourrons sortir de ce modèle où l’alimentation durable est réservée à une population principalement aisée et conscientisée. La transition dont nous rêvons doit être une transition de masse, qui concerne l’ensemble de la population.
De gros efforts ont déjà été consentis en ce sens par la Wallonie depuis plusieurs années, notamment via le financement du coup de pouce « du local dans l’assiette » : Un levier pour inciter les cantines à franchir le pas vers davantage de repas confectionnés avec des produits locaux et durables. Ce levier prend la forme d’un coup de pouce financier : pour 1€ investi en produits locaux issus de circuits courts, 0,5€ sont récupérables. Il permet aux cantines de bénéficier d’un financement à hauteur de 50% des dépenses en produits locaux et à hauteur de 70% des dépenses pour les produits locaux et biologiques (avec un plafond de 0,50€/repas).
En 2023, 234 cantines ont pu bénéficier de cette aide pour un budget de 1.490.544,80€ : un investissement concret pour notre économie locale et nos acteur.rice.s de l’approvsionnement, mais aussi pour la durabilité des assiettes proposées aux usagers dans les cantines. Concrètement, ce sont 17.586 utilisateurs qui ont bénéficié de ce coup de pouce en 2023, soit 3.924.399 repas sur l’année.
Vers une sécurité sociale de l’alimentation
Inspirée de la sécurité sociale de la santé, la SSA, projet d’ampleur porté par de nombreuses associations en Belgique (le collectif SSA), vise à financer la transition du système alimentaire et à garantir l’accès à l’alimentation pour tou.te.s. Il faut le reconnaitre, l’aide alimentaire, organisé sur notre territoire par des organismes reconnus, ne permet pas un droit à l’alimentation suffisant : seul un tiers des personnes précarisées passe la porte de ces structures et les produits donnés sont bien souvent les excédents de l’agro-industrie. Alors pourquoi ne pas développer un système universel où chacun.e accèderait à une alimentation saine et durable et cotiserait à hauteur de ses moyens ?
C’est ce que propose la SSA, à travers 3 piliers de mise en œuvre :
Ce tour d’horizon des coûts cachés de notre alimentation a pu mettre en évidence les impacts sanitaires, sociaux et environnementaux de notre modèle agro-alimentaire actuel.
La transition vers système alimentaire robuste, inclusif et durable ne pourra se faire sans un changement sociétal fort, intégrant cette notion de coût vérité. Cet objectif collectif, immensément positif, ne peut que contribuer à réenchanter nos politiques.
Les innovations évoquées au cours de cet article sont des investissements d’avenir essentiels à court, à moyen et à long terme. Ces actions expérimentées par le terrain doivent être amplifiée par un Etat se positionnant comme un partenaire, un facilitateur au service de la transition.
Vous souhaitez en savoir plus sur le sujet ? On met les pieds dans l’plat lors de l’événement annuel du Green Deal Cantines Durables !
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