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La durabilité de nos assiettes est une préoccupation de plus en plus présente chez de nombreux.ses citoyen.ne.s, en recherche d’alternatives à nos modèles de consommation alimentaire. Dans les rayons des magasins, ces mangeur.euse.s responsables semblent avoir l’embarras du choix : de l’agriculture biologique aux produits issus du circuit court, en passant par le commerce équitable ou encore les protéines végétales, la diversité de l’éventail d’options proposées pour « manger plus durable » est à l’image de celle de notre système alimentaire. « Manger local » apparaît comme l’une de ces alternatives, rendue largement populaire lors de la crise du Covid et soutenue par différentes structures qui sont nombreuses à mettre en place des lieux et des solutions pour inviter les citoyen.ne.s à consommer en circuit court de proximité.
La Région wallonne emboite le pas, tant dans son discours que dans les financements qu’elle offre, en encourageant ses citoyen.ne.s à se tourner vers une alimentation locale et en soutenant la relocalisation de filières dans le paysage agroalimentaire wallon.
Pourquoi la relocalisation de notre alimentation est-elle un enjeu important pour la transition de notre système alimentaire ? Consommer ce qui est produit proche de chez soi, serait-ce réellement une des premières actions à mettre en place pour rendre son alimentation plus durable ?
L’explication qui vient spontanément pour justifier le fait de privilégier une alimentation locale serait le coût carbone du transport des denrées alimentaires. Le mode de transport utilisé et le nombre de kilomètres parcouru a de fait un impact sur l’empreinte carbone de notre alimentation, mais cet impact est relativement faible comparé à celui du mode de production puisque le transport représente moins de 20% des émissions carbones liées à l’alimentation[1]. Si ce facteur est certainement un argument pour encourager le local, il ne peut à lui seul expliquer un mouvement massif en faveur de ce mode de consommation.
Le contexte climatique et socio-économique actuel nous prouve d’années en années qu’il est urgent de penser la résilience et la robustesse de notre système alimentaire, deux éléments indispensables pour garantir une sécurité alimentaire, chez nous comme ailleurs. Les conséquences des inondations et sécheresses de plus en plus fréquentes ces dernières années, ainsi que l’impact de la guerre en Ukraine sur le système alimentaire mondial en sont de bien tristes exemples.
Un système est dit résilient lorsqu’il dispose des ressources nécessaires pour traverser des périodes de crises : plus un système alimentaire est diversifié, plus il est résilient. En encourageant le développement et la pérennisation d’une multitude de sources alimentaires, nous rendons notre système alimentaire plus résistant face aux crises et aux catastrophes puisqu’à l’inverse d’un système ultraspécialisé, un système diversifié n’est pas (ou en tout cas moins) à risque de pénuries. Selon l’agence française Agores, « la priorité n’est pas l’importation en masse de produits agricoles, mais la proximité de la disponibilité des denrées alimentaires, indispensable pour la sécurité alimentaire en Europe qui dépend du maintien et de l’émergence d’exploitations agricoles à taille humaine »[2]. La résilience de notre agriculture est étroitement liée à la sauvegarde de notre tissu agricole, d’un point de vue social et économique et la relocalisation est un des leviers à activer et pour atteindre cet objectif. Cela implique également que les agriculteur.rice.s bénéficient d’une juste rémunération pour leur travail, et le circuit court est un des modèles qui permet cette juste rémunération, puisqu’en diminuant le nombre d’intermédiaires dans la chaîne d’approvisionnement, il garantit une part plus élevée du prix final à chacun·e.
Au-delà de la notion de distance, un système alimentaire régional est défini, selon la FAO, comme un système où il existe une certaine coordination entre les acteur.rice.s qui le composent[3]. Un système alimentaire local est un système plus transparent dans lequel de multiples collaborations coexistent.
En favorisant l’interconnaissance des acteur.rice.s de l’alimentation, la relocalisation amène donc une plus grande transparence au sein du système alimentaire. Les mangeur.euse.s et les cantines, sont amené.e.s à côtoyer les personnes qui produisent leur nourriture, à échanger avec elles, à voir leurs pratiques agricoles sur le terrain. Ils et elles apprennent ainsi progressivement à mieux connaître le système agricole et alimentaire dans lequel ils se situent. Ce faisant, les différents maillons de la chaîne d’approvisionnement acquièrent des connaissances et des outils qui leur permettent un choix de plus en plus éclairé, citoyen et responsable des aliments consommés.
Des mangeur.euse.s connecté.e.s à leur territoire via leur alimentation sont également plus sensible à l’écosystème dans lequel ils et elles évoluent et sont capables de faire le lien entre les enjeux climatiques actuels et leur réalité. Cela permet de faire émerger ou de renforcer une conscience écologique et une volonté d’agir sur son impact environnemental.
Au-delà de cette implication du citoyen dans ses choix alimentaires, une plus grande transparence entraine une plus grande traçabilité de l’alimentation, une qualité indispensable au maintien de la souveraineté alimentaire sur un territoire. La souveraineté alimentaire est en effet définie comme « la capacité d’une communauté, d’une région ou d’un pays à définir ses propres politiques alimentaires et à avoir un contrôle sur sa propre production alimentaire ». Cela signifie que les décisions sur ce qui est cultivé, comment cela est cultivé, et comment les aliments sont distribués sont prises localement, en tenant compte des besoins et des préférences de la population locale.
En région Wallonne, il n’existe pas « une agriculture », mais bien une multitude d’agricultures. Ce système agraire très diversifié présente une grande variété de modèles et pratiques agricoles[4] et possède de nombreuses qualités parmi lesquelles on peut citer une part de Surface Agricole Utile (SAU) cultivée en agriculture biologique importante[5] en comparaison à d’autres modèles européens[6], ou encore une production encore fortement liée au sol[7][8]. Soutenir la relocalisation de l’alimentation et consommer en circuit court, c’est permettre à cette diversité d’exploitations –essentielle à la résilience de notre système- de coexister au sein de notre système agricole.
Pour engager une transition alimentaire impactante, il est cependant important de réaliser que le local ne peut être le seul outil mobilisé. Comme toute transition, celle-ci nécessite des changements d’ampleur à grande échelle. Il ne s’agit donc pas d’opposer les modèles de consommation et d’en présenter un comme plus vertueux que les autres, mais bien de soutenir l’émergence de multiples modèles vertueux étroitement complémentaires et tous nécessaires dans la lutte contre le réchauffement climatique et le déclin de la biodiversité. Ainsi, la relocalisation doit s’accompagner d’évolutions importantes en termes de durabilité des modes de production, comme le proposent (entre autres) les modèles agricoles biologiques, agroécologiques, de conservation ou régénératifs.
Relocaliser notre alimentation ne s’apparente aucunement à un protectionnisme de principe, basé sur l’exclusion. Il ne s’agit pas non plus de se couper du monde en prônant l’autarcie ou le repli sur soi, coupés du monde qui nous entoure[9]. C’est, au contraire, une approche positive, un levier clé pour la durabilité de notre système alimentaire. Bien au-delà d’une simple question d’impact carbone lié au transport, c’est un choix stratégique à un contexte socio-économique changeant, qui vise la résilience de notre système alimentaire. En soutenant le développement d’un système diversifié, basé sur la collaboration et la proximité, nous construisons ensemble un système résistant face aux crises, aux catastrophes et aux pénuries.
[1] Li, M. et al (2022) Global food-miles account for nearly 20% of total food-systems emissions. Nature Food, 3(6): 445–453.
[2] AGORES (2022), DE LA FERME À LA TABLE : POUR UNE EXCEPTION DES ACHATS PUBLICS ALIMENTAIRES EUROPÉENS ET LA CRÉATION DE « JOURNÉES CULINAIRES EUROPÉENNES »
[3] FAO (2014) Sustainable Food Systems, concepts and framework, https://www.fao.org/3/ca2079en/CA2079EN.pdf
[4] CANOPEA et SYTRA (2020), Déconstruire les mythes des systèmes agricoles, https://www.canopea.be/deconstruire-les-mythes-des-systemes-agri/
[5] La part de la SAU cultivée en bio en Wallonie est actuellement de 12,7%. La moyenne européenne, quant à elle, se situe à 8,1% selon l’Agence du bio. En Flandre, c’est moins de 2% de la SAU qui sont cultivés en bio.
[6] Agence du bio (2021), L’agriculture bio dans l’Union Européenne, https://www.agencebio.org/wp-content/uploads/2022/01/Carnet_UE-_2021.pdf
[7] Une exploitation est dite « hors sol » lorsque les aliments consommés par les animaux viennent principalement de l’extérieur de l’exploitation. Le système agricole wallon est dit « lié au sol » car les exploitations hors sol (élevages porcin et volailles, qui ne sont pas nourris à l’herbe) y sont actuellement minoritaires.
[8] CANOPEA (2013), Repenser notre agriculture et notre alimentation, https://www.canopea.be/wp-content/uploads/2014/07/cce_ld_ldc_jd_130920_position_agriculture.pdf
[9] Veltz, P. (2020). Le tournant local : puissant et ambivalent. Constructif, 55, 39-45. https://doi.org/10.3917/const.055.0039
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